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La Mer

“Promenade d’un pinceau d’eau douce épris de la mer.”

Julio Silva

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1976 La Mer – 30 aquarelles

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C’est face à l’immense étendue, yeux fermés, visage caressé par le souffle des brises marines, que l’on prononce les promesses d’Amour, les promesses d’avenir, les promesses d’éternité.
On va voir la mer… poème haïku inachevé, ou le premier regard  sur le monde.

Vers les années 1975, je reçu une commande imprévue, celle de réaliser pour les concerts Les nuits étoilées au Théâtre des Champs-Elysées avec musique et images projetées.

Pendant des jours et des soirs, les ressacs éclataient dans mon atelier, les écumes laissaient leur mousse sur le papier, l’empreinte des embruns marins qui se forment sur la crête des vagues caressait la flaque de couleur répandue sur la palette et se déposait sur l’esquisse du premier paysage Le chemin de la mer. Dans le même mouvement, je jetais le jus de mes pensées sur le papier vierge encore immaculé, par une suite d’aquarelles selon Debussy : De l’Aube à Midi, Le Jeu des Vagues, et le Dialogue du Vent, jusqu’à la dernière vague apaisée perdue au milieu de l’Océan primitif.

Puis quand tout fut aquarellé suivant le story-board élaboré, je commençais à la nuit arrivée, une suite de photographies au négatif argentique, de chaque aquarelle, destinée à des diapositives projetées sur grand écran placé juste au dessus de l’orchestre. Un diaporama.
A la prise de vue des dessins fixes, se sont ajouté des images volantes en papier découpé.
Elles étaient posées au dessus de l’aquarelle, elle-même déposée sur la table des prises de vue, le tout sous une vitre les recouvrant. Je les fixais par un petit collant pour que l’image ne s’envole, pour simuler comme au ciné un mouvement par un fondu-enchainé, alors bien maladroit : mouettes blanches aux ailes déployées survolant les falaises ou se déposant sur les rochers de granit, coquillages aux chapeaux pointus, les patelles ,vivant aux rythmes des marées sur la roche recouverte de goémons bruns. A la fin de découpage, une vague verte sombra sur les estrans rocheux dans la zone de marnage entre marée haute et marée basse.
L’écume fut faites de sucre, dont la blancheur cristalline se dispersa sans bruit sur le rocher aquarellé aux couleurs sauvages des bords de mer.

Quant tout fut finit, la commanditaire m’annonça que le projet de se faisait plus.

Huit ans plus tard le projet ressurgit et en juillet I983 la prise de vue des diapositives argentiques, fut réalisée dans un autre studio qu’elle m’assura être le meilleur.
De nouveau captivée, j’ajoutais une quinzaine d’aquarelle, pouvant s’intégrer aux images existantes et suggérer l’approche d’une tempête, fuyant toute répétition, ne pouvant faire deux fois la même chose que dans le passé au risque de lasser.
L’approche d’une autre technique crayon sur aquarelle, me plut beaucoup, reliant ainsi celle du Jardin de Buffon, que je réalisais quelques temps après.
A la fin des prises de vue et au retour des œuvres à l’atelier, j’eus la surprise de voir que deux aquarelles avaient été  découpées le long du profil suggéré d’un homme et d’une femme face à face, émanant mystérieux, surgit de nulle part au hasard de la falaise.
Pour voir apparaître un émanant il suffit de trois points pour qu’un visage se dessine, pour qu’un frisottis à la surface de l’eau fasse penser aux voiles d’un ange, ou encore les vagues des nuages laissent entrevoir un chevelu barbu ricanant.

Le projet tomba à l’eau.

En 1977 une exposition à Bruxelles puis à Caen, décida d’un petit livre bleu, Aquarelles. Imprimé en une seule couleur, bleue, à compte d’auteur, l’imprimeur me fit une fleur. Avec un livre, même de petit format, rien n’égalera le plein bonheur de tourner la page et d’entendre son murmure.

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“Colette Portal aime la nature, les choses toutes simples, un hanneton, quelques fourmis, un gros rocher, des flaques sur une plage, une mouette entre deux falaises… Mais comme elle est poète, tout n’est pas si simple. La flaque devint troublante, la mouette fragile, les rochers se transforment en visages, la terre fait germer des plantes qui crient, le vent inquiète. Si vous ne connaissez d’elle que les délicieuses Histoires Naturelles, ne manquez pas ni ses nouvelles gravures ni sa Promenade d’un pinceau d’eau douce épris de la mer où rarement aquarelle aura autant eu la légèreté d’une aile !”

Elisabeth Vedrenne,
100 Idées, Avril 1978