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Tous les jours, le jour

Semeur de sable.

“Jouer, c’est faire” – Donald Winnicott, Jeux et réalité, 1971
“C’est à moi de savoir, c’est à vous de trouver” – Goethe

Pour commencer la journée, comme un rituel, il répandait le sable clair sur une planche posée sur deux tréteaux, peinte de couleur marron d’un côté, verte de l’autre. Le mouvement du geste du Semeur de Sable s’étoilait sur la table improvisée. A midi, elle était éclairée par la lumière du soleil filtré, passant par les tuiles du toit en verre, seule lumière du jour dans la bergerie avec les petites lucarnes des murs sur les  côtés. Sur la table, côté marron, les choses déposées là prenaient un éclat lumineux et mystérieux, comme montrées du doigt. Elles étaient là pour être vues et regardées.

Il étalait la matière cristalline et la façonnait avec un objet choisi pour y déposer son empreinte. Il donnait ainsi sa signification aux paysages imaginaires dont lui seul  connaissait le sens. C’était parfois le cul d’un œuf pour former un cratère, parfois ses doigts légers traçaient des sillons sur lesquels il avait posé des cailloux peints en gris bleus, comme ceux que j’avais installés à l’entrée de la bergerie pour en indiquer la direction. Sur les rivages onduleux d’une île imprévue il façonnait encore avec ses doigts, la pointe d’un sommet, la pointe d’un sein.

Les Peintures de Sable des Indiens Navajos avaient été son influence première, en lien direct avec sa créature Kiga, mais aux antipodes, sans aucune représentation humaine ou animal, ni même décorative avec les éléments sacrés, comme le soleil, la lune, les arbres, les étoiles, les lacs, les montagnes, ou les nuages.
On ne peut donc parler de Peinture de Sable, à propos des Sables de Gasiorowski.

Les premiers sables répandus sur la table couleurs marron, venaient de la plage des Cousouls, la plage de Leucate. Ils avaient la couleur du sable nu sous le soleil, presque blanc, puis en remontant à la bergerie il avait trouvé aux alentours, des pigments de terre-ocre ou brun-rouge. Il les tamisait avec une passoire à thé, nu aussi, assis sous l’olivier à l’élégance gracile, à l’intérieur d’un rond de pierres bleues que j’avais mis en place, sans aucune relation avec les Sables de Gasiorowski. Un cercle magique, dés la découverte de la bergerie. C’était, être sous l’olivier, lieux sacré des origines. Protégés.

Les Paysages de Sable de Gasiorowski étaient jetés ou semés, étalés, nivelés, moulés, sculptés, en perpétuelle transformation jusqu’à la fin des manigances secrètes. L’œuvre pouvait rester la nuit assoupie dans son secret. J’avais aimé trouver les noms de ces formes mouvantes : Cratère, Ile, Piste, Cratère aux 4 Pôles, la Pointe.
Comme les Indiens Navajos, il détruisait le matin au petit jour l’œuvre de la veille.
Puis il recommençait une autre mise en scène, en alternance l’après midi avec d’autres activités. Parfois dans la journée, pendant qu’il roulait une cigarette, ou qu’il écrivait, lisait, il recouvrait des cartes postales de La Peinture, qu’il envoyait à ses amis, La Peinture à

D’abord indifférent à mes gesticulations autour de la table magique, il avait bien reconnu l’ensemble des photographies des Sables pour l’exposition en 1983 au Musée de l’Arc.
Il avait écrit au dos des photos choisies : Les Sables, Kiga, Le pla des Artigues, 1979.

La bergerie - Les sables été 1979

La bergerie - Les sables été 1979

La bergerie - Les sables été 1979

La bergerie - Les sables été 1979

La bergerie - Les sables été 1979

La restitution en livre d’images, du court-métrage  « Tous les jours, le jour »  réalisé en  1994, est devenue avec le temps, une nécessité contre l’oublie. Tenir un livre entre les mains l’ouvrir, le sentir, le feuilleter, le reposer, savoir sa présence disponible à tous moments, est une source de plaisir immédiat. Un film est dans le mouvement, un livre est l’image fixe.
Le pouvoir d’évocation de cette fixité est immense.
En désirant réaliser Le Livre de ce film aujourd’hui, je n’ai aucune ambition d’en formuler une critique, ou une analyse. Ce n’est pas là mon propos.

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Photographies réalisées entre 1979 et 1983

1994 Tous les jours, le jour – 800 photographies
1995 Chronique sur le peintre Gérard Gasiorowski, 43 min – Production Final Touch | Centre Georges Pompidou
1996 Quatorzième festival d’art de Montréal
1997 Cinquième festival d’art Centre Georges Pompidou

Leucate - plage des Coussouls - été 1979 

La  bergerie - Caves - été 1979

Boulevard Brune - A.W.K. automne 1979

La bergerie - Caves - juillet 1980

La bergerie - Treilles - fin juillet 1980

Cachan - automne 1980

Chez Margot- septembre 1980

Chez Margot - Saint-Julien-du-Sault - octobre 1981

Le cercle des œuvres détruites - Chez Margot - 1979

Bergerie - l'Attentat  - Caves 

La bergerie 

La bergerie - Pâques 1982

La bergerie - 12 aout 1982